Mirontaine sta leggendo

http://lemondedemirontaine.hautetfort.com/

Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

8 juin 2012

Mercredi, j'ai passé l'après-midi au jardin avec Jocelyne Guerbette. Vous ne la connaissez pas encore?

J'ai tardé à faire sa connaissance pourtant elle devient très célèbre. Jocelyne est mercière à Arras, non loin de chez moi. C'est une femme simple qui se contente de plaisirs minuscules à la Philippe Delerm. Elle cultive le minimalisme positif au quotidien. Ses enfants ont quitté la maison, elle s'offre une "Vie de femme" comme la chante Romain Didier. Elle a appris les hommes et leurs silences et cette plaie qu'ils ouvrent avec indifférence. Les enfants ont quitté la maison et elle apprend à vieillir comme vieillissent les femmes. Elle tient un blog de coutures et broderies mais chez elle, il y a trente ans de bouts de ficelles pour un bateau qui fout le camp. N'allez pas croire que la vie de Jocelyne est triste, non...elle sait se contenter de peu et c'est là son bonheur.Un bonheur riche de petitesses.


Jocelyne gagne au loto. Elle commence à dresser des listes des choses enviées. A la relecture, elle constate la futilité des désirs . Un peu comme Souchon ..."dérision de nous dérisoire...on a soif d'idéal, attiré par les étoiles, les voiles, que des choses pas commerciales...".

Jocelyne sait la perfidie des désirs qui nous affligent.

J'ai été séduite par cette lecture en filigrane de Belle du Seigneur d'Albert Cohen,cette description d'un Amour absolu qui nourrit Jocelyne, comme une Emma Bovary.

Merci Grégoire Delacourt d'avoir brossé le portrait de Jocelyne qui m'est apparue sous les traits de Yolande Moreau et puis toutes ces chansons qui me sont venues à la mémoire... La Chanson d'Hélène lorsque Jocelyn part...

Un très bon roman dans lequel j'ai glissé le petit mot de mon fils qui a cassé sa tirelire pour me l'offrir.

A lire absolument.J'aurais voulu passer d'autres heures avec Jocelyne, je l'ai quittée la gorge nouée.

Merci infiniment.

- nouvelles traduites de l'italien

Actes Sud

8 juin 2012

A la vieille fille dont la jeunesse se fane sous l’égoïste regard des siens, au commerçant avare victime de la regrettable fécondité de sa femme, à l’adolescente amoureuse trahie par l’officier volage — sans parler des déçus du "rêve américain" qui reviennent de l’Eldorado plus misérables encore que naguère… —, à ces destins ingrats, à ces victimes du tragique ordinaire, Maria Messina rend le seul véritable hommage : celui d’une compassion qui soumet aux exigences de l’écriture la sincérité du témoignage.
On trouvera à la fin de ce recueil les lettres que Maria Messina adressait à Giovanni Verga entre 1909 et 1919, où la romancière sicilienne — dont la vie fut aussi tragique que celle de ses personnages — confie à son "maître" ses espoirs, ses incertitudes et ses premiers succès.

Née à Palerme, elle publie son premier livre en 19O9 et connait un succès
croissant jusqu'à ce que la sclérose en plaque l'oblige à cesser toute activité dans les années 2O. Elle meurt oubliée en 1944 à Pistoia sous les bombardements.

A la lecture de cette quatrième de couverture, j'étais curieuse de découvrir la plume de cette femme sicilienne au début du siècle dernier.

Ce que je retiens surtout à la lecture de ces nouvelles, c'est le portrait de la Sicile et des siciliens en toile de fond. Une société qui repose dès le début du 20 ème siècle sur un code de l'honneur. Les femmes jouent un rôle particulier dans les familles. On s'intéresse peu à leur désirs mais plus à ce qu'elles représentent d'où l'intérêt porté, par exemple, à leur virginité avant le mariage.

J'ai bien aimé retrouver la tendance proverbiale des siciliens à la discrétion voire au mutisme dans certaines nouvelles. Appréciée de son vivant par des romanciers comme Verga ou Borgese, elle sera redécouverte par Leonardo Sciascia, son compatriote sicilien. Il écrit :

"La vie sicilienne, telle que la dépeint Maria Messina, n'offre ni paysages grandioses ni drames sanglants.
Elle est toute en la mineur. Ce sont des "petits remous" dans une eau
marécageuse où sans bruit, disparaissent des êtres qui n'ont meme pas la force de se plaindre."

Prix nouveau talent 2012 - Fondation Bouygues

Calmann-Lévy

21 mai 2012

Commencez par vous préparer une bonne tasse de thé anglais et pénétrez dans l'ambiance de ce premier roman d'Annelise Corbrion.

L'histoire se passe à Londres. Emma est infographiste, spécialisée dans la retouche des photos anciennes. Elle vient de perdre ses parents et se réfugie bien souvent chez son amie Lexie. Elle aime à inventer des vies aux personnes figées sur le papier photo. Son métier est de rendre l'éclat à ses vies passées. Mais si, un jour on lui donnait l'opportunité d'entrer en communication avec toutes ces personnes inconnues? Par une trame narrative plutôt bien construite, Annelise Corbrion parvient à nous emporter dans cette histoire surréaliste.


Les courriels deviennent le fil qui relie les morts et les vivants. Les fantômes sont tous figés sur le papier qu'elle prend plaisir à restaurer. En même temps qu'elle donne de la vivacité aux couleurs, les fantômes du passé la hantent. Leur but: restaurer la vérité sur un meurtre, offrir la lumière sur une étrange disparition, permettre de retrouver une broche si importante dans la vie d'un homme décédé dans les années 40.

Un très bon roman, comme un défi à l'oubli, dont j'ai particulièrement apprécié l'ambiance.

Depuis 2008, le Prix Nouveau Talent distingue chaque année un auteur en lui permettant de publier son premier roman dans une grande maison d'édition et d'être reconnu. L'autre particularité de ce prix littéraire est de récompenser un récit dans lequel les modes de communication et déchanges sont un élément déterminant de la trame narrative. J'avais beaucoup aimé en 2009 le roman de Caroline Vermalle L'Avant-dernère chance.

16 mai 2012

Quel bonheur ce petit roman de Giuseppina Torregrossa! Elle nous conte l'histoire de la famille sicilienne d'Agatina au coeur de Palerme. Le roman s'ouvre sur la recette des cassatelle "Les Tétins d'Agathe", petites spécialités en l'honneur de la sainte que les siciliens fêtent chaque année le 5 Février.

"Au moment du café, les cassatelle étaient accueillies par des applaudissements. Le grand plateau débordait de ces petites montagnes invitantes, disposées deux par deux. Elles incitaient d'abord à toucher, puis à lécher le sucre glace et enfin à mordre avec délicatesse, pour ne pas les blesser. Quand je croquais, la crème à la ricotta, au sucre et au chocolat envahissait ma bouche, je la sentais s'étaler sur mon palais ; je fermais les yeux et le plaisir s'étendait à tout mon corps de petite fille (...)"

La recette reste un secret entre Agatina et sa grand-mère. Les minne ("seins" en italien et mot qui désigne les gâteaux de Sainte Agathe) ont cette faculté de conjurer le mauvais sort grâce à la protection de Sainte Agathe. Cette sainte fut martyrisée: on a ordonné l'ablation de ses seins parce qu'elle s'est opposée au consentement d'un homme.

Sous le soleil de la Sicile, mêlée au parfum de la ricotta, des agrumes et de la cannelle, c'est l'histoire d'une filiation, une histoire de la vie mouvementée des femmes siciliennes. Dans une langue savoureuse et malicieuse, de Catane à Palerme, ce sont toutes les traditions siciliennes qui nous sont confiées. Tandis que les femmes pétrissent les cassatelle en forme de sein, toute l'éducation féminine se livre au fil des années, de mères en filles.

En toile de fond, l'auteur évoque la montée de la mafia sicilienne et l'industrialisation mafieuse de Palerme.

Agatina est la dernière de cette lignée de femmes et on assiste impuissant à sa destinée vertigineuse malgré sa réussite professionnelle. Elle exerce le métier de gynécologue et soigne les maladies "delle minne", celle qui a emporté son arrière grand-mère, qui a frappé ses tantes et qui lui a valu cette année singulière dans son propre chemin de vie. Dans cette petite galerie de portraits féminins, le courage des femmes culmine qu'elles soient soumises ou émancipées. La société sicilienne est évoquée sans fioritures, l'évolution des mœurs, de la dévotion à la liberté sexuelle, se déploie dans la famille Badalamenti.

J'ai beaucoup aimé ce voyage dans les ruelles poussiéreuses de la Sicile, île de mes origines. La cérémonie culinaire des Tétins de Sainte Agathe est une jolie mise en abyme de la destinée des femmes, qui mènent le monde des hommes par la beauté "delle minne", ceux-là même qui étourdissent les machos siciliens et qui parfois sont source d'inquiétude.

"Les Tétins de sainte Agathe étaient une assurance sur ma santé, la douce amulette qui m'accompagnerait dans ma vie de femme". Ce roman est tour à tour, drôle, sensuel et gourmand!

Née à Palerme en 1956, Giuseppina Torregrossa vit entre la Sicile et Rome, où elle a exercé pendant plus de vingt ans la profession de gynécologue, s’occupant entre autres activement de la prévention et du traitement du cancer du sein.

roman

Albin Michel

18,25
25 avril 2012

Voici un très bon roman sur le thème de la disparition et la découverte d'une très belle plume, celle de Valentine Goby.

C'est un roman très sensible qui aborde la détresse d'une famille suite à la disparition de Sarah à l'âge de 22 ans. Depuis qu'elle a pris un avion pour le Groenland trente ans plus tôt, sa soeur Lisa tente de marcher sur les pas de la disparue. En 1982, personne ne sait ce qui est arrivé à cette jeune fille et le sac à dos retrouvé sur un bateau ne peuvent aider sa famille à élucider le mystère de cette disparition. La mère se noie dans le chagrin, le père dans la culture de l'oignon et Lisa dans l'anorexie. Depuis lors, Lisa est devenue transparente aux yeux de sa mère au sens propre comme au figuré.

Valentine Goby commente le voyage de Lisa au Groenland sur les traces de sa soeur aînée. Un très beau voyage sur la banquise avec des paysages malmenés par le réchauffement climatique et l'âpreté des scènes de vie à Uunmmannaq. Les flashs back retracent le bouleversement familial suite à la disparition. J'ai apprécié davantage encore le voyage immobile des pensées de Lisa dans ce processus de reconstruction.

Cette femme se sent vide, à tout moment, elle risque de se briser à la manière des banquises. Ces étendues de glace du Groenland laissent à leur surface tout ce qu'elles engloutissent au fil des années, comme la métaphore des désespoirs de Lisa.

« Vingt-sept ans d’absence. Vingt-sept anniversaires qui ont pris le dessus, année après année, sur le jour de naissance : ils n’ont plus compté l’âge écoulé de Sarah mais mesuré l’attente. Vingt-sept ans, donc. Depuis longtemps Lisa déserte le rituel du 11 juillet, le repas maigre chez ses parents avec lumignon sous la photo de sa sœur. Désertion, c’est exactement ça, jeune femme elle a pensé je sèche, maintenant elle ne craint pas les mots et, en effet, elle quitte le front, elle ne lutte plus que dans le cercle étroit de sa propre famille, nucléaire, et tout de suite ça la protège du reste du monde. »

Banquises, de Valentine Goby, éditions Albin Michel.