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31 mars 2011

Témoin signifie martyr. Tout homme qui témoigne est écartelé, doublement déchiré dans sa chair et dans son esprit. Déchiré d'abord à l'intérieur de lui-même entre le témoin suprême au sommet de son être et le pitoyable individu dont il assume la vie au long des jours. Déchiré encore par l'abîme qui sépare la vérité dont il témoigne du monde qui ne veut pas recevoir son témoignage" Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort.

Témoigner c'est donc à la fois dire pour soi, pour en finir avec cette dualité oppressante qui fait que pour survivre on a été obligé de scinder la vie de là bas et la vie d'ici.

Mais témoigner c'est aussi raconter pour les autres, pour que l'Histoire ne se répète pas. Il ne s'agit pas forcement de comprendre: parceque tant qu'on a pas vécu les choses elles sont difficilement envisageables, parceque "comprendre" nous dit Primo Levi dans Si c'est un homme "c'est presque justifier". Mais témoigner c'est aussi aider car "aucune expérience humaine n'est dénuée de sens ou indigne d'intérêts"

Voilà deux raisons qui me mettent particulièrement mal à l'aise face aux détracteurs et aux critiques faites à l'attention d'Ingrid Betancourt.

D'abord peu de gens semblent avoir pris le temps de lire son livre, ensuite je trouve très facile de critiquer loin d'une réalité que l'on ne connait pas et que l'on a pas vécue.

Ingrid Betancourt a des côtés agaçants: elle a cette assurance de la petite fille bourgeoise, qui fréquentait enfant le jardin du Luxembourg. Elle a ce tempérament de feu et la "grande gueule" des politiques colombiens. Elle pensait sans doute, avant l'emprisonnement, à l'image de La rage au coeur, que tout était possible dans cette Colombie anéantie par la corruption de ces dirigeants, l'autoritarisme des paramilitaires, la folie extravagante des Farcs et des narcotrafiquants.

Mais au-delà de cette personnalité, il reste la force d'un récit de l'enfermement. Le témoignage d'Ingrid Betancourt, est une plongée dans la vie des Farcs, dans un monde vivant en autarcie, dans une jungle qui vous étouffe et dans une prison hors du temps et hors du monde qui déshumanise.

Car c'est là, à mon sens, la grande qualité du récit. On y apprend comment se construit le processus de déshumanisation. On comprend comment chaque geste, chaque parole retentissent sur les otages. C'est par exemple donner des numéros aux prisonniers en cessant de les appeler par leur nom, c'est encore les infantiliser en leur demandant pour chaque acte de demander la permission (même pour aller aux toilettes), c'est ensuite ce positionnement d'être toujours en demande, d'être toujours surveillé, d'être en concurrence avec les collègues otages pour avoir plus de pain, c'est enfin subir parfois le mépris, parfois l'indifférence et même la violence.

Ingrid raconte donc ces moments difficiles avec beaucoup de pudeur, mais elle relate également comment elle a pu tenir, comment elle a pu trouver les ressources nécessaires pour survivre à ces 6 ans et demie dans le jungle.

On ressent à travers son récit,au moins au début de sa captivité, une combativité qui fait qu'à chaque fois qu'elle se sent attaquée elle répond à ces geôliers. C'est donc des dialogues parfois surréalistes, parfois humoristiques qui nous sont donnés à voir. Comme le jour où un farc lui dit qu'il a tué un tigre (c'est à dire un jaguar)et qu'elle lui répond que ce sont des espèces protégées.

On croit comprendre qu'elle a tenu par des petites choses. Au delà des évasions manquées, qui suscitaient l'espoir et imagination, il y avait le travail de brodeuse, les cours de français, la lecture des Harry Potter, les anniversaires fictifs de ses enfants et surtout la radio qui a su la rattacher dans les plus profondes souffrances au monde des vivants.

Ingrid Betancourt n'est ni la figure héroïque que les médias ont voulu construire, ni le mouton noir méchant parmi de gentils otages (il existe même une page facebook anti-Ingrid Betancourt)mais juste une femme qui a prouvé une nouvelle fois " la faculté qu'à l'Homme de se creuser un trou, de sécréter une coquille, de dresser autour de soi une fragile barrière de défense, même dans ces circonstances apparemment désespérées.

Et cela pour les otages encore en captivité, c'est extrêmement important et pas inutile non plus pour nous qui vivons dans le confort de notre monde quotidien.

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2 mai 2010

Best-seller depuis 1951, ce livre aura marqué et marque toujours toute une génération d'adolescents et cela particulièrement aux Etats-Unis où ce livre est enseigné dans les écoles.

Holden Caufield a 17 ans et vient d'être viré d'une de ces prestigieuses écoles pour fils de la bourgeoisie new-yorkaise. Ne voulant pas avouer son renvoi à ses parents, au travers de ce journal intime, il relate son expérience de solitude et d'errance durant trois jours à New York.

De l'adolescence à la vie d'adulte, l'attrape-coeurs est par excellence le roman qui porte la parole de l'adolescence rebelle. Holden est à l'age où l'on se rend compte que l'exemplarité à laquelle les parents nous ont jusqu'à présent assigné n'a pas de résonance dans le monde des adultes.

Il ne veut pas être conseiller juridique comme son père car ces types "ce sont des personnages qui ne font que ramasser du flouze et jouer au golf et au bridge,acheter des bagnoles et boire des martinis".

Le héros de l'attrape-coeurs a le sentiment d'être corseté dans cette vie, où chacun doit être le meilleur, où chacun doit savoir ce qu'il veut. Holden Caufield ne sait pas ce qu'il aime, on lui demande pourtant de s'engager sur un chemin dont on aurait déjà pour lui construit la route.

L'adolescent aime la digression car il a le sentiment de pouvoir enfin être libre. Il ne voudrait faire qu'une seule chose dans sa vie "arrêter les mômes qui s'approchent trop près du bord et les attraper avant qu'ils ne tombent", devenir "l'attrape-coeurs" (corps dans la version anglaise)-celui qui sauve les enfants-de la chute vers le monde des adultes.

Il y a dans ce livre le paradoxe de l'adolescence. Holden aimerait vivre pleinement cette vie nocturne new-yorkaise avec l'argent, le sexe et l'alcool. La fascination pour ce monde fait d'interdits, l'envie de vivre des expériences dangereuses, participe à la fuite d'un jeune héros de l'émancipation parentale. Mais ce monde que l'adolescent découvre a quelque chose de terrifiant. Il reste dégouté par cet environnement qui offre peu de promesses d'avenir.

Holden est à ces moments charnières de l'adolescence où l'on construit un adulte en devenir. A ce moment de fragilité où tout peut basculer. Il rêve de liberté, de cabanes dans les arbres, et on lui parle de pensionnat et d'"échec effroyable".

Holden est l'adolescent que Dean (sur le route de Kerouac) aurait pu être. Un être fragile, un enfant perdu qui "cherche les raisons de vivre dans un monde hostile et corrompu".

L'attrape-coeur est un roman intemporel qui parle aussi bien aux adolescents qu'aux adultes. Il questionne finalement nos choix de vie, interroge notre libre arbitre face à une société qui n'a de cesse d'édicter des modèles, des normes ou des conduites à suivre.

Salinger s'est sans doute largement inspiré de sa propre histoire pour écrire son roman tant les mots de l'adolescent sont justes. Comme le rêve de son héros, à partir des années 1960, il s'était réfugié dans un chalet de bois, cette cabane que voulait se construire Holden, dans le silence, loin des péripéties d'un monde mercantile et médiatique qui obligent les écrivains à vendre et surtout à parler.

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30 avril 2010

Entre tradition et modernité

« Moosonee. Le bout de la piste. Je le sens là, juste derrière les arbustes mes nièces. Ce n'est pas tellement loin dans la neige épaisse. Ici, on a une petite ville parfois triste et vorace. Tu as ton petit groupe d'amis, et voilà. Des amis pour la vie sauf quand on devient ennemis. Alors, il vaut mieux ne pas se tromper. Ici,les gens de ta famille mourront pour toi. A moins qu'ils t'en veuillent. Si tu es brouillé avec un ami, tous les paris sont annulés. Tu n'existes pas. Il me reste plus que deux amis et c'est ainsi depuis des années. C'est peut être partout pareil, mais nous sommes portés sur la vengeance. Parce que les Crees sont un peuple clanique. Chaque clan a ses propres intérêts à l'esprit. Et quand on pense qu'à ses propres intérêts, il y a toujours des exclus et des mécontents ».

Moosone se trouve sur les rives de la Baie James. C'est une ville dont la majorité des habitants est Cree. Will était un ancien pilote qui aimait continuer à voler et chasser les oies et l'original. Mais aujourd'hui, Will est dans le coma et il raconte cette vie de trappeur dans les fôrêts de l'Ontario, parle de son enfance et de sa famille et dévoile les circonstances du drame qui l'on conduit dans cet état.


On s'intègre rapidement donc dans les paysages de la région de Moosone, on sent le vent, le froid, on participe à la chasse aux castors. A l'image des récits de Jack London dans le grand nord canadien, ou de Nicolas Evans, on est imprégné de cette région du Canada dont la beauté de la nature semble donner force à ses habitants

De ce coma silencieux, répond justement sa nièce Annie, dont la soeur Suzanne a disparu. Elle raconte à cet oncle endormi, le chemin pour la retrouver. Annie chausse les chaussures de celle-ci et s'attache à gagner les faveurs de ceux et de celles qui font et défont les carrières pour pouvoir trouver des réponses à cette fuite inexpliquée.

En parallèle de ces récits d'aventurier sur la rivière Moose, on parcours donc les rues de Montréal puis de Manhattan. On fréquente alors un autre monde: celui de la jet set, de la mode, et de la drogue. Un monde où les relations sont tronquées, où les personnes parfois vénéneuses. Comme dans American Psycho ou Miami Vice, il règne dans ces villes du nouveau monde une troublante excitation, qui peut vite faire perdre pied quand on ne maitrise pas certains codes.

Au travers de ce récit à deux voix, de ces deux âmes en peine, on découvre des personnages attachants, une société blanche qui a du mal à faire place aux amérindiens, et un regard sur une histoire meurtrie conséquence en partie d'une assimilation mal vécue à l'image de nos grands parents bretons auxquels on interdisait de s'exprimer dans leur langue maternelle.

Au delà de ces destins individuels, Boyden dresse donc un portrait sans doute juste de la société Cree au Canada aujourd'hui. Certes, il y a toujours une haine des indiens de la part de certains blancs, il existe encore une présence de discriminations à leur égard, l'alcoolisme et la pauvreté de ces populations sont encore des fléaux qui perdurent, mais Boyden nous dit aussi à travers cette histoire, la richesse de ces familles, leur connaissance de la nature, des mythes et de leur science des rêves...

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28 avril 2010

Un livre universel

Michaël a 15 ans. Le hasard, lui fait rencontrer une femme de trente cinq ans dont il devint l'amant. Un amour passionné nait entre Hanna et Michaël, jusqu'au jour où Hanna disparait. Ce n'est que 7 ans plus tard, que le narrateur retrouve Hanna: celle-ci est alors accusée d'avoir participé en tant que surveillante de camps à la mort de juifs.

Ce livre est bouleversant parce qu’il montre comment cet amour va profondément marquer le narrateur tout au long de sa vie. La culpabilité d'avoir aimé quelqu'un et de découvrir un autre visage parsème les chapitres du liseur.

Au delà de cet amour perdu, c'est aussi la question du devoir de mémoire qui est posé dans l'Allemagne d'après guerre, et comment les allemands doivent faire face avec un passé qui ne passe pas.

Enfin, le thème de l'insoupçonnable secret et de l'ignorance qui conduit à la fuite, explique ici, sans excuser et sans dévoiler l'intrigue, cette magnifique histoire.

50 ans après la Shoah, beaucoup de livres, de films ont été réalisés. Le liseur a le mérite de renvoyer chacun à sa conscience, en permettant au lecteur de se projeter dans l'histoire de Michaël et d'Hanna.

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28 avril 2010

Entre histoire et vie quotidienne des indiens d'Amérique

Retraçant le portait empirique d'un des grands combattant indien, on arpente également ce livre comme un road movie à travers les paysages et les lieux qui ont vu grandir Geronimo. On comprend son engagement à travers l'histoire tragique de ses femmes ou enfants assasinés ou emportés par les maladies.

Ce livre plein d'humour nous brosse par petites touches un portrait féroce de la société américaine d'aujourd'hui et en particulier des problemes des tribus amérindienne (obésité, déscolarisation, chomage,....).

La dernière partie sur la recherche des ossements du vieux guerrier est particulièrement émouvante. Géronimo est mort en captivité à Fort Still. Ses ancêtres veulent désormais l'enterrer sur sa terre de naissance près de la Gila River (selon la tradition indienne, l'essentiel pour que le cercle de vie s'achève, est d'être enterré dans la zone où se trouve son arbre de naissance).

Mais quand en 1986, le président tribal de la réserve de San Carlos en Arizona a demandé que soit rappatrié le corps du guerrier sur sa terre natale, celui-ci a reçu une lettre lui expliquant que la société skull and bones détenait le crane de géronimo.

Il s'est rendu au sein de la société, a rencontré Joseph Bush (fils de prescot bush et famille de l'actuel président lui aussi membre de cette société), pour se voir présenter un crane d'enfant. La profanation et le vol des ossements par la société skull and bones est avéré par un écrivain anglais Mark Wortman. Pourquoi cette profanation? La société serait très focalisé sur la mort et utiliserait beaucoup de ces symboles pour pratiquer des rites initiatiques.....

Pratiques douteuses d'une amérique dont les ancetres du président ont pillé une tombe et volé un crane pour en faire un ridicule objet de satanisme. Quelle injure à la personne qui aimait répéter "We must consider ourselves apart from the environnment and disturb it" (nous ne devons jamais nous considérer à part de notre environnement) ou encore "Be Brave, as your ancestors were brave, standing in front of the ennemy "(sois courageux, comme tes ancêtres le furent, debout face à l'ennemi).

En se rendant, Généronimo avait exprimé la volonté de pouvoir retourner sur ses terres pour vivre pacifiquement. Cette promesse a été faite, mais jamais respectée. Aujourd'hui meme après sa mort, la trahison continue.

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