Boris, 1985
EAN13
9782889070947
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Boris, 1985

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Quand sa grand-mère est sur le point de s’éteindre, Douna Loup se sent
soulevée par un mouvement qu’elle-même peine à comprendre : elle doit percer
le mystère de la disparition de Boris, le demi-frère de sa grand-mère, juif
russe d'origine, grand mathématicien américain après sa fuite d'URSS. Elle
embarque pour les Etats-Unis et le Chili avec ses deux filles adolescentes,
puis seule en Russie. Elle veut savoir comment et pourquoi Boris a disparu en
1985, en pleine nature, à 500 kilomètres au Sud de Santiago de Chili, mais à
100 kilomètres de la Colonia Dignidad, une communauté allemande sulfureuse et
proche du général Pinochet. Qui l’a vu pour la dernière fois ? à quoi
ressemblent les lieux ? les gens ? cette Colonia Dignidad ? Douna doit
ressentir ce qu’il a pu éprouver, il lui faut approcher du mal le plus près
possible. C’est du plus profond de l’intime que Douna Loup mène l’enquête,
interroge les témoins directs et indirects, la sœur de Boris, ses amis, les
carabineros et les militaires présents le jour de la disparition; les avocats
comme les militants. Elle nous fait entendre leurs paroles autant que leurs
silences et leurs mensonges. Devant un témoin dont elle sent de manière
évidente qu’il cache quelque chose, elle aimerait « ouvrir son cerveau pour y
voir ce qu’il cache ». Nous piétinons avec elle, nous nous calmons avec elle,
nous avançons d’un grand pas avec elle. Alors même que le texte se présente
comme une vraie enquête avec témoins, indices et déductions, le lecteur
retrouve la manière sensorielle propre à Douna d’appréhender le monde,
notamment grâce à des passages poétiques qui scandent l’ensemble de manière
éruptive. Présumé mort noyé d’abord, puis de plus en plus certainement torturé
et tué, Boris erre aujourd’hui dans des documents déclassifiés et dans
l’esprit de ses proches, dont certains sont obsédés par l’énigme irrésolue de
sa disparition. Quelques extraits: Grande silhouette taiseuse, Boris aimait
par-dessus tout marcher seul de longues semaines dans les endroits les plus
reculés de la planète. C’est démuni au milieu des bêtes sauvages qu’il se
sentait le mieux, livré aux aléas de la météo et d’une nature plus ou moins
généreuse en baies, champignons et petites proies animales. Douna traduit en
français quelques pages de ses carnets de voyage ; des pages très factuelles,
pourtant bouleversantes: Journal de Boris 3 - 7 Arrivée le 3 juillet à 19h.
Piste d'atterrissage de l'aéroport non pavée. Un taxi m'a conduit à Mayo pour
3 $, puis Indian Sam m'a fait traverser la rivière Stuart pour 10 $. J'ai
marché jusqu'à 23 h. Je n'ai pas trouvé d'eau et j'ai monté ma tente pour la
nuit. Un oiseau intéressant m'a survolé et a émis des sons effrayants. Le
lendemain, j'ai repris la route, mais j'ai décidé qu'elle n'allait pas dans le
bon sens et je l'ai quittée. Puis j'ai erré dans les marais et je suis sorti
pour aller vers une rivière. J’ai pensé que c'était le lac Talbot. Un oiseau
"amiral" noir avec une marque rouge, chassait les mouettes pour une raison qui
m’a échappé. Je n'ai pas pu traverser la rivière. J'ai passé la nuit sur sa
rive, puis je l’ai longée et suis arrivé au lac Talbot. (J'ai trouvé un
étrange champignon avec un dessous épineux.) J'en ai fait le tour et j'ai
campé à nouveau pour la nuit. Il pleuvait. Le lendemain, je suis resté couché
et j'ai dormi à cause de la pluie. 17 - 7 En traversant le lac B. Kalzas en
direction du ruisseau Mist, j'ai vu des plantes noyées, dont une rose sauvage
en fleur à un mètre sous l'eau. Au matin du 17, j'ai vu une sorte d'animal qui
a grimpé sur un arbre puis s'est enfui. Le même jour, j'ai vu un lapin puis
j'ai essayé mon réveil-alarme. Le lapin s'est approché pour voir ce qui se
passait. 19 -7 J'ai vu un champignon violet. Le chapeau gris-violet, les
branchies inférieures violet foncé. Sur place au Chili : Je me sens dans le
vif de l’affaire. J’ai le cœur qui palpite, il y a un crime à élucider. Je
vais m’approcher de tout ce qu’il sera possible d’approcher. Sans aucune
garantie de trouver des réponses. Mais je vais rencontrer du réel. Des
lieux, peut-être des visages et des paroles et ce qui n’a été que papier va
s’animer de vent et de sang. La Colonia Dignidad et le mal Pourquoi est-ce que
Douna s’intéresse soudainement à ce grand-oncle qui n’a pas occupé de place
centrale dans sa vie jusque-là? Les logiques concentrationnaires de la Colonia
Dignidad lui donnent peut-être un indice. La Colonia, c’est un espace-temps
qui concentre le pire de ce que peut l'humain. (…) Cette communauté donne à
voir les principes de négation de l'être poussés à leur extrême. Et ce système
que je vois, me fait horreur et me fait peur, mais je sais aussi que je le
connais du dedans. Du dedans je sais ce que c'est que la volonté de dominer.
Je connais le processus interne à moi-même qui ne reconnaît pas l'autre comme
un autre totalement autre, libre et sujet de lui-même. Je connais ce
processus, ce « j'aimerais que l'autre m'appartienne », j'aimerais contrôler
l'autre, qu'il n'agisse pas ainsi, qu'il se conforme à mon désir, qu'il soit
pour moi. Cela existe en moi. Le pratique de la marche comme rapport au monde
Boris a marché dans ces lieux. Le 26 décembre 1985, une fois sorti de l'hôtel
Alcazar à Los Angeles, au centre du Chili dans la province de Bio Bio, il n'a
fait ensuite que marcher. Ce rapport au monde qu'il a tant aimé, cette grande
intimité du corps avec la terre que retrouve l'humain dans la marche, il en
avait besoin, il semblait la chercher, cette activité, comme une pratique
restaurative, nécessaire et constitutive de son être, de sa relation au
vivant. Autant que l'étaient les mathématiques, la langue la plus directe et
concrète avec laquelle Boris s'exprimait, cette pratique mystérieuse de la
marche lui était nécessaire. Dès qu'il pouvait il était en partance, en
exploration, il dépliait la carte des pays, il filait. La marche dans des
lieux pauvres en humains est ce qu'il semblait rechercher. La marche comme
procédé de dépouillement volontaire, de proximité contaminante avec les
vivants sans langage humain, avec les vivants qui parlent en couleurs, en
sons, en traces, en fientes, en floraisons. Douna confrontée au mensonge : Et
moi aussi, je tremble, avec mon téléphone enclenché en mode micro et mon
attente si grande qui est tellement déçue. Qui parlera ? Qui peut me dire
quelque chose ? Pourquoi clame-t-il qu'il ne sait rien ? Je n'ai jamais été
aussi proche d'un humain qui était sur les lieux lors de la disparition de
Boris, j'ai toujours été face à des papiers, des hypothèses, des photos.
Aujourd'hui c'est un humain et j'attendais plus. Je ne sais pas si la panique
qu'il ressent est une panique d'innocent ou de coupable. Je ne sais pas, je
vois qu'il est aussi triste que moi. Nous sommes tristes. Dans cette station-
service à l'entrée de Temuco, nous avons tous deux l’air de chercher un
apaisement qui ne vient pas, il me demande de l’informer quand je saurai ce
qui s'est passé. Car lui aussi attend cela. Ce sont les carabiñeros qu'il faut
interroger, ce sont eux qui cherchaient Boris. Je bous de ne pas savoir s’il
ment. Dans la voiture avec Catalina, nous roulons en débriefant à bâtons
rompus, nous sommes encore sous le choc de cette entrevue tendue. Sous le choc
de la déception aussi, après les centaines de kilomètres à rouler dans
l'excitation de la rencontre. Mais qu'est-ce que je croyais, que telle une
Zorro mâtinée de Sherlock j'allais débusquer le coupable, comme ça, en
quelques jours d'enquête dans le Sud, après trente-quatre années de silence
touffu ? Je me fais rire moi-même, mais je suis dépitée. (…) Je ne comprends
pas, je n'arrive pas à rejoindre son intérêt caché, son besoin de masquer,
transformer. J'aimerais ouvrir son cerveau et savoir, c'est douloureux d'être
en face d'une personne qui me semble savoir, qui me semble contenir cette
vérité que je cherche comme un joyau et qui ne veut pas me la donner. Qui la
cache. La garde dedans. Nous roulons vers Chillán, Catalina est aussi
convaincue que moi, Soto ment sur toute la ligne. Née en 1982 à Genève, Douna
Loup a grandi dans la Drôme, puis a travaillé dans un orphelinat à Madagascar.
Elle vit aujourd...
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