L'expérience

Christophe Bataille

Grasset

  • Conseillé par
    11 février 2015

    Pour avoir trébuché lors du défilé du 14 juillet 1960 sur les Champs-Elysées, on propose à un jeune ingénieur civil de se rendre dans le Sahara, "faire des expériences intéressantes. Des bombes nouvelles". Le 25 avril 1961 à Reggane dans ce qui était nommé l'opération Gerboise verte, il faisait partie d'un petit groupe. «Ces opérations ont eu des codes politiques: Gerboise verte. Hippocampe rouge. Étions-nous des chevaux colorés? Des monstres marins? Ou bien était-ce pour nommer cette part de nos cerveaux soudain translucide?".
    La suite c'est l'inimaginable. Combinaison, lunettes, la sirène qui hurle et "quand elle s'est arrêtée, ils n'étaient plus humains. Ils étaient dans l'histoire". Sortir de la tranchée accompagné d'une petite patrouille, marcher jusqu'à un point donné, une lumière aveuglante et revenir.


    Des années plus tard, il écrit alors qu'il sait que son témoignage ne vaut rien. Pas de preuves tangibles qu'il était là-bas, son dossier médical est introuvable. Toujours hanté par les cris d'un chèvre brûlée à vif, "la peau tachée, brune, effrayante de ses mains parle pour lui". Combien sont mort après avoir été employés à cette expérience? Une expérience pour déterminer les distances de sécurité.
    "A 21 ans, il était devenu un résultat". "Ces minutes dans le désert, je les ai chassées, malgré les insomnies, les migraines, les tremblements, les maux de ventre." Et se plonger dans les mathématiques pour échapper à la folie et aux souvenirs.

    Dans ce texte dense et percutant, les souvenirs de cet homme reviennent par flash. S'y mêlent ses réflexions : "Ce qui a eu ce jour d'avril n' a pas de nom. Peut-être ai-je simplement vu ce qui ne peut pas être vu. : l'homme vidé par sa bombe". Par la voix d'auteur on est dans le cauchemar, on effleure la mort.
    Un texte court mais puissant qui rend hommage à tous ces anonymes, à ces cobayes de l'armée française au nom de l'atome.