Un lac immense et blanc

Michèle Lesbre

Sabine Wespieser Éditeur

  • Conseillé par
    4 juillet 2012

    Un magnifique récit, texte court où le "Je est un autre." (Rimbaud), où le narrateur (Michèle Lesbre) s'identifierait au personnage principal (Edith Arnaud).
    Dans ce "lac immense et blanc", un "Je" réinvente, mélange sa vie avec un doigté de mélancolie poétique. Tout est illusion vraie...comme la vraie vie.
    Les temps, les lieux, les êtres sont délicieusement préparés, presque fusionnés : le jardin des Plantes, les lointains plateaux de l'Aubrac, le petit cimetière juif de Ferrare en Italie, le pont Charles à Prague, la gare d'Austerlitz, les cafés de Paris et leurs comptoirs de zinc. Étranges surimpressions.

    L'italien du Café Lunaire tant attendu, Antoine le revenant, disparu.
    Des histoires d'amour manquées et le "sentiment douloureux d'être bannie du monde intime que crée la relation amoureuse devenait peu à peu la délicieuse sensation d'une liberté retrouvée."
    Un corbeau qui aiguise son bec sur une chevelure, un inconnu inconsolable qui se jette sous les roues d'une voiture, un Mai 68 presque invisible, insignifiant qui passe comme une comète en cinq lignes impitoyables.
    "Le 3 mai, la police évacuait la Sorbonne, le 10 une barricade s'élevait rue Gay-Lussac, le 20 la télévision se mettait en grève, le 30 Malraux chantait La Marseillaise le poing levé sur les Champs-Elysées, dans la manifestation de soutien à de Gaulle. Nous avions pourtant aimé certains de ses livres."
    Michèle Lesbre écrit le passé sur la neige fraîche. Ses mots comme des pas perdus.
    Ce livre ressemble au magnifique film de Ettore Scola, "Une journée particulière".
    Ce livre, je l'ai lu, presque vu, comme un enfant, le nez collé aux mots, collé à la vitre à regarder glisser les flocons de neige comme du temps qui passe, comme du temps déjà passé.
    Il faut lire les très belles pages sur l'Aubrac où "le silence ressemble à celui du beau naufrage", l'auberge irréelle et ses "petits déjeuners au goût d'enfance", ses "lits profonds, les draps rugueux, les édredons dodus."
    L'Aubrac, "un doux retrait, un lent écoulement des jours, une douce attente..."
    Comme une "douceur navrante de consolations" (Jankélévitch)
    Les souvenirs comme de doux retraits...