Des orties et des hommes

Paola Pigani

Liana Levi

  • Conseillé par
    16 octobre 2020

    années 70, ferme

    Ce roman offre une plongée dans la vie d’une famille de baraquis (immigrés italiens) des Charentes. Une vie dans laquelle il y a toujours du pain sur la planche, et pas seulement dans les champs et les étables, mais aussi dans la ferraille.

    J’ai eu un peu de mal avec les expressions de la prière chrétienne reprises au fil des phrases, parfois (des siècles des siècles…).

    J’ai aimé que la petite fille soit éprise de mots : ceux du dictionnaire, puis ceux du soldat de 14 dont elle a retrouvé la correspondance dans une maison vidée par ses parents.

    J’ai été surprise de la découvrir stupéfaite devant Nadia Comaneci, les descriptions de ses mouvements, sa photo qu’elle cache sous son lit d’internat.

    J’ai aimé sa découverte de l’Italie, plus grande et en famille.

    J’ai aimé son amitié avec Joël, le petit voisin bossu, qu’elle n’oublie jamais, même après que la ferme des parents de Joël a brûlé.

    J’ai aimé le père qui ne cesse de chanter Io sono un povero negro, faisant entrer la musique dans la maison. Musique dont ne pourra plus se passer Pia.

    J’ai aimé le renard de la grand mère Nonna, qui revient dans le récit par petites touches.

    Un roman riche sur la vie dans les fermes loin des grandes exploitations agricoles. Des petites fermes pleines d’enfants qui, comme le dit la narratrice, faisaient vivre des villages entiers.

    L’image que je retiendrai :

    Celle du joueur d’harmonica que Pia entend et attend à chaque fois qu’elle revient à l’internat.

    https://alexmotamots.fr/des-orties-et-des-hommes-paola-pigani/


  • 17 août 2020

    C’est un garçon-paysage avec une colline sur le dos qui absorbe le cri des chiens du vieux Ferdinand, les moqueries des récréations , le roulis des saisons. »
    J’ai lu plusieurs fois cette phrase à voix haute. La langue de Paola Pigani m’avait déjà emportée sur le chemin des tsiganes et des exilés. Elle se fait porte-voix de celle de Pia, fillette des années 1970, en Charente. Les années d’enfance d’une famille immigrée d’Italie où « [le] matin, on se réveille avec le son d’une nuit nouvelle qui est passée sans nous prévenir, refaire nos chemins, nous aveugler, changer l’herbe en drap. » C’est presque toujours pareil, les champs, les bois, l’heure du lait. La lenteur du petit jour accompagne celle des bêtes. Les vaches se nomment Vincenzo, Venezia, Trieste. A la télé, les westerns-spaghettis. Autour de la ferme, d’autres indiens: les manouches. Eux s’installent sur un champ tout pelé où rien ne pousse. Pia se défend d’être « une baraqui », ainsi étaient nommés les immigrés italiens venus travailler dans les charbonnages belges, juste après la guerre. « Dans les tiroirs de Nonna, il y a du bruit à l’ouverture et à la fermeture. Les souvenirs crient de voir le jour. »
    Au fil des pages ce sont les jours sauvages mais aussi les « choses de l’ordre », il faut revenir à l’école.
    « Les mots sont alignés sur le tableau, les vaches dispersées dans le pré. Il faudra aussi mettre de l’ordre dans mon cahier d’essai, ne pas mélanger tache d’encre et tâche d’être là quand on te parle, blouse et bouse. »
    La famille de Pia, c’est une main complète, une fleur vivante à cinq pétales. Des pétales semblables sauf un plus léger, la grande sœur Valma. Elle s’est détachée. Alors la nuit, Pia baratte les mêmes questions. « Valma disparue, c’est la table en désordre, le café froid, le beurre ranci, des chansons idiotes qui sortent du transistor et personne pour les fredonner en plein champ, des joies qui fanent à peine sorties. »
    Pia écrit dans son cahier d’essai et parfois elle dessine lorsqu’elle n’a pas les mots pour écrire la peur.
    Ce texte est tellement beau... moi aussi, j’avais un grand-père qui parlait à la speakerine dans la télé. « Je crois qu’il a voulu jusqu’au bout faire l’effort de bien prononcer bonjour, bonsoir sans accent parce qu’elle était jolie et qu’elle l’invitait chaque jour aux actualités, dans cette vie française si éloignée de lui. »

    « Combien de temps on a le droit de rester gamine ? » se demande Pia au fil des étés, des livres lus et des allers-retours entre la ferme et les murs du pensionnat.

    Ce livre, avant même de l’avoir fini, j’offrais d’autres exemplaires aux ami.e.s.
    Pia, c’est un peu mon enfance de fille d’immigrés, une décennie plus tard.